Le 75 km de Saint-Pierre-des-Corps
   

A lire dans la revue d'octobre 2001 :
Le sommaire

Archives : revue d'avril 1999
de Jacques Seray
"La revue a vingt ans"



Outre Babu, Alain Petit et Jacky Fouquet, les capitaines de route,
on reconnaît notre doyenne, My-Clo.

Dans le TGV qui file à une allure soutenue, les sièges sont confortables. Les filles de La Rochelle sont riches, jeunes et belles. Je n’en demande pas plus. Comme une image, sage, d’un coup, je suis jeté sur le quai à Saint-Pierre-des-Corps. Cherchez la faille. Je m’accorde un moment pour méditer et, sorti de ma stupeur, savez-vous quoi, je voyage désormais debout, dans un train de plaisir d’un certain charme, roulant à la vitesse de 6-6,5 km/h. Sous la houlette du gentil prince Babu, ceinture noire de marche et de vélo du Val de Loire... Les 54 voyageurs « couche tard » montés à bord, partent pour la nuit. La température est plutôt clémente, le ciel étoilé... Tiré par la locomotive qui fume, le convoi s’ébranle en direction de l’est tourangeau.
A Montlouis-sur-Loire, réputé pour ses excellents vins blancs, en file sur la piste longeant les rails, hardiment, nous franchissons la Loire, l’un des derniers fleuves sauvages d’Europe, très large à cet endroit. Y’a du bouillon ! D’en haut, vu de mon compartiment où l’on a plus de place que dans le TGV, ça impressionne. Malgré cela, l’alose, genre de grosse sardine de plus de 2 kg, qui a vu pire dans l’océan, remonte le courant. Au Petit-Vouvray, à gauche, un premier château ; la Brenne, sans gêne, s’étend dans les prairies. Que d’eau là encore, et il en retombe. La pluie a pitié de nous et fait court. Après une halte à Vernou, un œil sur l’église de Chançay somptueusement éclairée, nous prenons notre pied dans le dur de la côte. Les châteaux de Jallanges (Renaissance) et de Reugny où le roi Albert Ier de Belgique descendait en moto pour rendre visite à des amis, remplaçant la bière de sa chope par un verre de cristal pétillant de vouvray, incitent à la flânerie. Dans le secret des bois où daims et sangliers abondent, des faux-plat montants, le vent de face rafraîchit. My-Clo, l’énergique doyenne boute-en-train que je n’avais pas revue depuis les 30 heures de Vichy, esquisse des pas de danse devant Babu, Alain Petit et Jacky Fouquet, capitaines de route ; l’occasion de converser sur une myriade de sujets. Ayant viré plein sud, le pont de la Cisse est passé. La rivière roule beaucoup de terre. Une pancarte : « S.O.S. perches et truites recherchent lunettes et filtres. S’adresser au brochet du coin. » Nazelles-Négron, 3 heures sonnent au clocher de ce vrai village viticole endormi dans la nuit profonde. A la salle du foyer Vilvent, Jean-Marc Faucheux, Madeleine Durand aident activement les ravitailleurs. Le petit déjeuner, c’est du sérieux. Des caves et des habitations troglodytiques creusées dans la roche crayeuse des falaises surgissent du passé.

Baudouin Rossius, Babu et Jean-Claude Bonhomme,
« les trois gloires ».

Et puis c’est l’apogée de l’itinéraire. Ornementation raffinée. Fascinant. Il ne manque que les spectacles son et lumière. A flanc de coteau sur la Loire capricieuse qui s’attarde autour de l’île d’Or devant les belles façades blanches du quai, le château royal d’Amboise des XIVe-XVIe siècles en pierre de tuffeau (le plus ancien château des rois de France) se dresse élégamment. Charles III y naquit et y mourut. Dans les deux énormes tours, une rampe en spirale permettait l’accès des cavaliers et des attelages aux terrasses du château. Le dos courbé en avant, grimpons et relevons la tête pour admirer les vitraux de la chapelle Saint-Hubert, joyau de style gothique flamboyant où Léonard de Vinci a été enterré ! Un peu plus loin, on découvre le Clos-Lucé, joli manoir où l’inventeur de l’an 2000, embauché comme architecte par François Ier, fut logé les trois dernières années de sa vie, de 1516 à 1519. Il vint d’Italie par les Alpes à dos de mulet, avec ses trois tableaux préférés enfermés dans des sacoches de cuir : la Joconde, la Vierge à l’Enfant, avec Sainte Anne et Jean le Baptiste, exposées au Louvre.

L’intendance avec Madeleine Durand au premier rang.

7 h 30, les oiseaux et le coq ont chanté. N’attendons pas midi pour déjeuner. « Le Ménestrel », avec des plats simples et réussis, nous sert quelques « vers » de son répertoire. En marge de l’agitation citadine, des chemins sablonneux découpant les vignobles de Montlouis, un sentier escarpé, « le singe vert », surplombant les berges de la Loire saluée de nouveau, nous mène aux caves Courtemanche pour une collation de réconfort. Avant, Jean-Marc n’aura pas manqué de nous faire observer le joli point de vue sur la vallée de la Loire et les mots symboliques de la République « liberté, égalité, fraternité » gravés en façade de l’église de Saint-Louis. Certains « sifflent » un verre d’eau ou de Coca, d’autres un verre de vin chaud. Le train siffle trois fois... puis repart. A La Ville-aux-Dames, jadis habitée uniquement par des dames nobles, sans musarder, il dévale dans les rues aux noms de femmes célèbres : George Sand, élevée au château de Nohant (Indre), Louise Michel (célèbre anarchiste), Adrienne Lecouvreur (actrice), Maryse Bastié (aviatrice française qui traversa seule l’Atlantique sud), Ginette Neveu, Aliénor d’Aquitaine, épouse d’Henri II, roi d’Angleterre, Olympe de Gouges... Ce millénaire, le peintre Jacqueline Charbonneau, en bonne marche, pourrait très bien compter parmi les célébrités... Mais on ne connaît pas grand chose du talent de l’artiste qui aurait tout à gagner en exposant ses œuvres au public... Au pont des Epines fortes, arrêtés à notre guise au milieu de la voie en cul-de-sac, un Mars dans une main, un verre dans l’autre, nous sommes envoûtés par le triage téléguidé des wagons et la formation de trains de marchandises, en pente douce. Et c’est l’amorce des derniers kilomètres avant l’arrivée.
Jean-Marc remercie les municipalités traversées, Jean-Michel et Cécile de la sécurité, les bénévoles de l’intendance qui ont vaillamment œuvré, les capitaines de route... les chefs de gare. Les quatre marcheurs qui ont effectué leur premier 75 km et Mme My-Clo Noyel qui nous a, cette fois encore, émerveillés, sont récompensés. Le verre de l’amitié est pris tous ensemble.
Le parcours de « la Godasse » était imaginé et dessiné par « Babu », un plaisant voyage. Nous avons beaucoup ri et marché un peu. Tant que les brevets Audax seront de cette qualité, il y aura toujours des marcheurs.

René VASSEUR.